Dans le cadre de la mise en place de zones d’investissement agricole – Z.I.A. – par la région Vakinankaratra, les habitants de plusieurs communes rurales du Vakinankaratra ont été priés de se préparer à quitter leurs lieux de vie alors que les promoteurs de ce projet avaient exprimé l’intention de ne procéder à aucune expulsion.
Les paysans n’ont pas été dûment informés de la possibilité pour leurs associations de participer aux investissements dans le cadre des ZIA.
Suite à la campagne de promotion des ZIA et aux appels à manifestation d’intérêt par les investisseurs étrangers et nationaux pour y opérer, les responsables de ces ZIA ont déclaré que pour la première vague d’attribution de terrains, 21 investisseurs ont signé des baux emphytéotiques sur des terrains de tailles diverses dont la superficie totale fait plus de 1 000 ha. (1)
Les terrains concernés par ces ZIA dans 8 communes sont actuellement des terrains domaniaux de l’Etat et de la Région, dont l’histoire a connu diverses évolutions au cours des années, certains ayant été titrés au nom de colons, tandis que d’autres avaient déjà été attribués à des investisseurs dans le cadre de ZIA avant 2009 ou assignés à d’autres usages.
Les associations et ONG font partie des investisseurs éligibles dans ce projet de ZIA. Mais les investigations réalisées dans plusieurs communes en mars puis en juillet 2016 montrent que si des séances d’informations ont été organisées dans certaines localités, dans la plupart des endroits visités, les habitants, y compris les chefs fokontany et les occupants des terrains concernés par les ZIA, ignoraient qu’ils avaient la possibilité de s’organiser en associations et de postuler pour l’attribution de terrains afin d’investir dans les ZIA.
Refusant la situation et les perspectives annoncées, certains occupants des terrains attribués aux investisseurs, qui ont été prévenus de leur prochaine expulsion, ont manifesté leur opposition de diverses manières, d’autres ont détruit des infrastructures établies par les investisseurs dans des villages, ce qui a motivé des convocations par la gendarmerie locale.
Des centaines, voire des milliers de familles devront donc abandonner les terres fertiles de la région qu’elles ont mises en valeur et qu’elles cultivent pour se nourrir, depuis plusieurs générations pour beaucoup d’entre elles, mais en plus, elles vont se retrouver sans terre ni toit pour survivre ? Un tel programme est tout à fait inacceptable et incompatible avec l’objectif déclaré d’ « amélioration du niveau de croissance régionale ainsi que du niveau de vie de la population » (1)
L’évolution du discours des responsables et les droits légitimes des paysans
En décembre 2014, le Ministre de l’Agriculture de l’époque avait annoncé dans la presse le lancement des ZIA en déclarant qu’il ne devrait y avoir ni expulsion ni empiètement sur les terrains des paysans (2). Pendant les visites sur le terrain réalisées par les chercheurs du CRAAD-OI au mois de mars 2016, un responsable des ZIA avait commencé à moduler cette affirmation en disant que « les empiètements et les expulsions seraient évités autant que possible ». En juillet 2016, les paysans interrogés ont informé ces chercheurs qu’ils ont été priés de ne plus cultiver les terres qu’ils occupent car ils devront les quitter.
Les investigations dans les villages ont montré que la plupart des familles concernées vivent sur ces terres depuis des dizaines d’années, plusieurs personnes âgées de 50 ou 60 ans sont nées dans ces villages et y ont toujours vécu. Ces familles étaient donc là avant que les terrains n’aient été cédés à l’Etat par le régime colonial. Par conséquent, ces occupants ne sont pas du tout des « squatters » mais des familles dont les droits sur les terres doivent être reconnus et respectés.
Les belles paroles ont donc servi seulement à endormir la vigilance des paysans et des citoyens ?
Le comble est que les témoignages recueillis auprès des victimes de ces expulsions indiquent qu’aucune proposition alternative n’a accompagné les annonces d’obligation de quitter les lieux. Pourtant, le cahier de charges relatif aux ZIA précise que la Région assurera la réinstallation des « squatters » et appuiera toutes les démarches pour l’acquisition définitive des terrains attribués à ces derniers. (3)
Au lieu de les expulser, il faut appuyer les paysans et respecter leurs choix.
Ces contradictions entre les objectifs et les faits réels sont surprenantes et inacceptables, alors que les enjeux sont cruciaux non seulement pour les droits et l’avenir des paysans concernés, mais aussi pour l’atteinte des objectifs proclamés du projet de ZIA. (4)
Il nous semble urgent d’informer et d’interpeller toutes les instances concernées : les responsables des collectivités décentralisées aux différents niveaux, les ONG chargés de la mise en œuvre des projets d’investissement, les services déconcentrés et l’Etat central, les bailleurs de fonds impliqués dans le financement de ce projet de ZIA, ainsi que les citoyens de toutes les régions et du monde qui réfléchissent et œuvrent pour le développement agricole, économique et social.
Compte tenu des intentions plutôt louables qui ont été exprimées par les décideurs dans la presse, il est encore temps pour tous les acteurs d’entreprendre des actions d’information et d’appui auprès des paysans de toutes les localités concernées et de réaliser l’objectif « zéro expulsion » de manière effective. Les occupants qui ont travaillé et fertilisé ces terrains depuis des décennies ont la priorité par rapport aux nouveaux arrivants.
Au cours des visites sur le terrain de l’équipe du CRAAD-OI, certains paysans rencontrés ont exprimé leur réticence vis-à-vis de projets d’agriculture contractuelle pour des produits destinés à l’exportation en raison de l’impossibilité pour eux de cultiver ce qu’ils souhaitent dans le nouveau système proposé. La prise en compte du choix des paysans est une condition sine qua non de la réussite de toute initiative touchant à leurs moyens de subsistance et à leurs droits fonciers. Afin de réaliser et de « permettre le maintien et le développement des activités [et des emplois] dans les territoires » (3), le système de l’agriculture familiale existant devrait être maintenu, développé et faire l’objet d’un appui défini de manière participative avec les paysans concernés dans les projets de développement agricole de la Région.
L’accès à la terre et aux ressources naturelles ainsi que le contrôle par les familles paysannes de leurs activités agricoles constituent des droits fondamentaux. Les prises de décision sur l’avenir des territoires en vue de l’amélioration du bien-être et de la souveraineté alimentaire de la population ne doivent pas se faire au détriment du savoir-faire et des droits acquis par les paysans sur leurs territoires.
25 juillet 2016
Pour Le Centre de Recherches et d’Appui pour les Alternatives de Développement – Océan Indien (CRAAD-OI)
Randriamaro Zo, Coordinatrice
Pour le Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
Rakotondrainibe Mamy, présidente