- Accueil /
- / SOMMET DES PEUPLES DE LA SADC 2025 ET 5ème SOMMET DU MOUVEMENT DES PEUPLES DE L’OCÉAN INDIEN
SOMMET DES PEUPLES DE LA SADC 2025 ET 5ème SOMMET DU MOUVEMENT DES PEUPLES DE L’OCÉAN INDIEN

« Décoloniser notre avenir : reconquérir le pouvoir et la souveraineté des peuples, défendre les droits humains et les droits de la nature, faire avancer la transformation durable et centrée sur les peuples des systèmes économiques et de l’intégration régionale au sein de la SADC »
Alors que les chefs d’État et de gouvernement de la SADC se réunissent pour leur 45ème sommet ordinaire à Antananarivo – Madagascar, le 17 août 2025, les mouvements sociaux, les agriculteurs ruraux, les syndicats, les groupes de femmes, les jeunes, les organisations de la société civile et les communautés de première ligne de toute la région de la SADC se sont aussi réunis à Antsirabe – Madagascar, du 15 au 17 août 2025, pour le Sommet annuel des peuples de la SADC organisé par le Réseau de solidarité des peuples d’Afrique australe (SAPSN) en partenariat avec le Centre de recherches et d’appui pour les alternatives de développement – Océan Indien (CRAAD-OI). Le Sommet des peuples s’est tenu sous le thème : « Reconquérir notre avenir: construire des économies souveraines, faire progresser la justice en matière de dette et amplifier le pouvoir des peuples face à l’injustice climatique et au néocolonialisme ».
Le Sommet des peuples de la SADC n’est pas simplement un rassemblement parallèle, c’est une plate-forme essentielle pour un mouvement collectif qui canalise les revendications et les solutions politiques émanant des populations vers les institutions de la SADC, en s’appuyant sur un héritage historique de plaidoyer et de luttes menés par les peuples dans toute la région de la SADC. Il repose sur la nécessité urgente de remettre en question et de transformer le discours dominant sur le développement et le modèle économique qui continuent de reproduire la pauvreté, les inégalités, la destruction écologique et la dépendance néo-coloniale dans notre région. Ce Communiqué est notre voix collective et notre appel à l’action, adressé aux Chefs d’état et de gouvernement de la SADC, qui se réunissent à Antananarivo pour le 45ème sommet de la SADC.
CONTEXTE
Le Sommet des peuples de la SADC a examiné de manière critique le programme de développement pour 2025 des dirigeants de la SADC intitulé « Promouvoir l’industrialisation, la transformation agricole et la transition énergétique pour une SADC résiliente ». Bien que ce programme soit présenté comme une réponse aux crises complexes que traverse la région, il renforce dangereusement un modèle extractiviste toxique (qui inclut l’exploitation minière, l’agriculture, la pêche, la sylviculture, le pétrole, le gaz et nos autres biens communs) qui sert les intérêts des élites et des entreprises, renforce les inégalités et déplace les communautés – en particulier les femmes, les jeunes et les peuples autochtones – de leurs terres, de leurs moyens de subsistance et de leur dignité.
À Antsirabe, la voix des peuples a dénoncé les fondements du programme de développement de la SADC comme étant une fausse solution, car il s’agit d’une continuation des mêmes systèmes prédateurs, patriarcaux et néo-libéraux qui ont porté préjudice à notre région et à nos peuples pendant des décennies. Nous nous sommes réunis pour exiger une transformation radicale, fondée sur une approche décoloniale féministe, écologique et redistributive qui privilégie les personnes plutôt que le profit, la planète plutôt que le pillage, et la souveraineté plutôt que l’asservissement.
Le Sommet des peuples a mis en lumière les réalités vécues et les luttes collectives des populations d’Afrique australe contre l’aggravation du fardeau de la dette, les flux financiers illicites (FFI), les inégalités structurelles, les crises politiques et écologiques, et l’érosion de l’espace démocratique. Nous sommes profondément préoccupés par la menace d’un recul démocratique dans la région, notamment par les restrictions à la liberté de la presse, la censure, le harcèlement des journalistes et la répression des voix critiques. Nous sommes alarmés par le rétrécissement de l’espace civique dans toute la région, en particulier au Zimbabwe, en Eswatini, à Madagascar, au Mozambique, en RDC, en Tanzanie, aux Comores et en Zambie, où la répression, la surveillance et les restrictions des libertés civiles sont devenues la norme. Nous rejetons le recours à la militarisation et à la manipulation juridique pour faire taire la dissidence et protéger les alliances d’exploitation entre l’Etat et les sociétés privées.
La conjonction d’un endettement élevé et des flux financiers illicites impose des mesures d’austérité et empêche la fourniture de services publics et sociaux essentiels pour répondre aux besoins fondamentaux des populations de la SADC, tandis que les territoires de la SADC sont exploités pour répondre aux demandes des pays du Nord. Nous réaffirmons que la justice climatique est indissociable de la justice économique. La crise écologique et les catastrophes climatiques, les cyclones, les sécheresses et les inondations qui ravagent la région ne sont pas des catastrophes naturelles, mais le résultat de siècles de pillage impérialiste et colonial, et de la cupidité capitaliste persistante.
Les communautés de l’Océan Indien occidental et des régions côtières de la SADC subissent de plein fouet une crise dont elles ne sont pas responsables, tandis que leurs terres et leurs eaux sont la cible de nouvelles vagues d’extractivisme au nom de la «transition vers l’énergie verte». Une crise écologique profonde affecte à la fois la justice climatique et la souveraineté alimentaire de plus de 135 millions de personnes vivant dans les communautés côtières et les îles de la SADC dans l’Océan Indien occidental, en particulier les femmes et les enfants.
Nous dénonçons la nouvelle ruée vers les « minéraux critiques » tels qu’ils sont définis par les puissances impériales, motivée par la course effrénée des pays du Nord vers la décarbonisation, la numérisation et la production d’armes, qui alimentent déjà l’accaparement des terres, les déplacements de populations et la militarisation dans la région. Cette «transition» extractiviste n’est pas une solution, c’est une nouvelle forme de colonialisme vert et de privatisation des biens communs. Nous exigeons une transition juste centrée sur les droits des communautés et des travailleurs, les économies locales, la souveraineté écologique et la justice inter-générationnelle.
Le Sommet des peuples de la SADC 2025 a proposé une alternative claire : une vision de l’intégration régionale centrée sur les peuples qui défend la souveraineté économique, la justice redistributive, les réparations climatiques et les droits de la nature, ainsi que la liberté de circulation des peuples, tout en démantelant le patriarcat systémique, le racisme, le néo-colonialisme et l’impunité des entreprises. Nous affirmons que la véritable résilience ne peut pas se construire sur la dépendance à l’égard de la dette, sur l’accumulation par les élites ou sur de fausses solutions, mais sur la solidarité, sur l’équité, sur la participation et sur la justice réparatrice.
En tant que délégués du Sommet des peuples de la SADC 2025, nous rejetons donc tout modèle de développement qui exclut les communautés, les travailleurs et les syndicats, criminalise les défenseurs des droits humains et de l’environnement, et transforme la nature en marchandise. Nous appelons à mettre fin à la mainmise financière et politique sur nos Etats par les élites nationales corrompues, les sociétés transnationales et les institutions financières mondiales. Nous appelons à l’annulation des dettes illégitimes et odieuses, au démantèlement de l’architecture financière actuelle, à la restitution des richesses volées et à la mise en œuvre de politiques fiscales et commerciales progressistes, féministes et respectueuses du climat.
Nous élevons nos voix sur les questions régionales critiques suivantes :
1. La dette et la crise économique : qui doit vraiment quoi à qui ?
Nos revendications :
• Annulation immédiate et inconditionnelle de toutes les dettes extérieures illégitimes et odieuses ;
• Justice climatique et réparatrice grâce à un financement climatique inconditionnel sous forme de subventions, et non de prêts ;
• Réparations pour l’esclavage et le travail forcé ;
• Mise en place d’alternatives transparentes et démocratiques aux systèmes d’endettement hérités de l’époque coloniale ;
• Rejet des politiques d’austérité et des conditionnalités néolibérales du FMI/Banque mondiale et de la Banque africaine de développement (BAD).
• Etablissement de systèmes de finances publiques participatifs garantissant la transparence et la responsabilité, ainsi que le contrôle et la détermination du budget par les citoyens.
2. Justice climatique et souveraineté écologique
Nos revendications :
• Indemnisation intégrale relative à la dette écologique contractée par les pays du Nord envers l’Afrique australe, y compris pour les émissions historiques et l’extraction des ressources ;
• Soutien et financement de l’agro-écologie, des semences locales et de la souveraineté alimentaire dans la région ;
• Financement climatique féministe et équitable qui donne la priorité à l’adaptation menée par les communautés, aux pertes et dommages, et aux infrastructures publiques résilientes ;
• Un moratoire immédiat sur les nouveaux projets liés aux combustibles fossiles et la réorientation des investissements vers une stratégie d’industrialisation juste et à faible émission de carbone.
• La reconnaissance juridique des droits de la nature dans tous les États membres de la SADC.
3. Justice économique féministe et un développement ré-imaginé
Nos revendications :
• Des politiques économiques transformatrices en matière de genre qui puissent institutionnaliser le leadership des femmes et redistribuer le pouvoir et les ressources.
• L’inclusion totale des femmes dans les processus décisionnels à tous les niveaux.
• L’accès garanti à la terre, aux financements, à la technologie, aux outils numériques et aux marchés pour les femmes et les filles ;
• Reconnaissance et rémunération par l’État du travail de soins non rémunéré, par le biais des services publics et de la protection sociale ;
• Allocation par l’État de ressources pour lutter contre le fléau de la violence sexiste et des féminicides dans la région ;
• Protection et promotion de l’agriculture agro-écologique dirigée par les femmes, et de la souveraineté alimentaire ;
• Intégration institutionnelle d’indicateurs économiques féministes au-delà du PIB, mesurant le bien-être, l’équité et la durabilité.
4. Le Droit de Dire Non : résister au néo-colonialisme et à l’emprise des entreprises
Nos revendications :
• Un protocole régional affirmant le droit au consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) et le Droit de Dire Non ;
• Révision urgente et annulation des traités bilatéraux d’investissement (TBI) prédateurs et des accords commerciaux qui portent atteinte à la souveraineté des peuples ;
• Mettre fin à la criminalisation du militantisme et abroger les lois utilisées pour réprimer la dissidence dans les communautés de première ligne ;
• Protéger les défenseurs des droits humains, les militants écologistes, les journalistes et les leaders autochtones de la répression et du harcèlement juridique ;
• Les chefs d’État de la SADC doivent adopter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des populations rurales (UNDROP) comme politique régionale ;
• Réformes législatives visant à consacrer les droits fonciers communautaires et la justice environnementale.
5. Protéger l’avenir : mettre fin aux mariages d’enfants et à la violence sexiste
Nos revendications :
• Harmonisation des lois afin de fixer à dix-huit (18) ans l’âge minimum absolu pour se marier, sans exception ;
• Ratification complète et transposition dans le droit national du Protocole de Maputo et du modèle de loi de la SADC sur le mariage des enfants ;
• Refuges financés par des fonds publics, soutien psychosocial et aide juridique pour les victimes de violences sexistes ;
• Poursuite en justice des responsables, y compris ceux qui agissent sous l’autorité religieuse ou traditionnelle ;
• Investissement dans des services complets de santé et de droits sexuels et reproductifs, des produits d’hygiène menstruelle et des espaces sûrs pour les filles.
6. Bâtir des économies souveraines, démocratiques et centrées sur les populations
Nos revendications :
• Mettre en place un protectionnisme écologique basé sur une taxe carbone pour les importations en provenance des pays du Nord et des principaux blocs commerciaux vers la SADC ;
• S’unir et négocier en tant que bloc solidaire avec les pays du Nord et les autres blocs commerciaux, en particulier en ce qui concerne l’exploitation et le commerce des minéraux critiques ;
• Relever les défis et les contraintes liés à l’intégration des pays de la SADC dans la ZLECA (Zone de libre échange continentale africaine) ;
• Introduire des normes d’industrialisation de la SADC à faible émission de carbone intégrant la justice, l’équité et la performance environnementale ;
• Investir dans les infrastructures publiques régionales, y compris des réseaux d’énergie renouvelable et des chemins de fer appartenant à la population ;
• Harmoniser les stratégies économiques régionales de la SADC, et contester l’imposition de tarifs douaniers injustes ;
• Mettre en œuvre des taxes standardisées sur la finance, la richesse, le carbone et les bénéfices des entreprises afin de garantir une redistribution équitable des richesses et d’éviter de compromettre l’espace budgétaire national ;
• Sauvegarder et promouvoir la propriété publique et les coopératives dans les secteurs clés tels que l’énergie, l’eau et la santé.
7. Lutter contre les inégalités : construire des sociétés justes et inclusives
Nos revendications :
• La SADC doit adopter un plan régional ambitieux de réduction des inégalités, fondé sur la participation et les revendications des peuples ;
• Le chômage et le sous-emploi dans la région, en particulier chez les jeunes, nécessitent des mesures urgentes et efficaces ;
• Nous exigeons l’imposition de taxes sur les richesses, les plus-values et les biens de luxe, ainsi que la fin de l’évasion fiscale des entreprises et la suppression des exonérations fiscales préjudiciables à nos budgets nationaux ;
• L’investissement dans l’équité nécessite le développement de services publics gratuits et de qualité destinés aux personnes les plus marginalisées, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement et de la protection sociale, tout en renforçant les systèmes d’intégrité et de responsabilité ;
• Les gouvernements de la SADC doivent lutter contre l’injustice salariale en augmentant le salaire minimum pour qu’il atteigne le niveau du salaire décent, en garantissant les droits du travail et en protégeant les travailleurs informels et les aidants, en particulier les femmes et les jeunes ;
• Les gouvernements doivent mettre en place une allocation de revenu de base universelle dans tous les pays de la SADC.
• Les dettes illégitimes et odieuses doivent être annulées, et les ressources destinées au remboursement de ces dettes doivent être réorientées vers des initiatives de justice sociale et des investissements publics.
Notre appel aux Chefs d’état et de gouvernement de la SADC
Alors que vous vous réunissez à Antananarivo pour le 45ème sommet ordinaire de la SADC, nous vous exhortons à écouter non seulement vos pairs, mais aussi les personnes qui subissent de plein fouet les conséquences de vos décisions. Les voix d’Antsirabe sont claires. Nous voulons que les Chefs d’état et de gouvernement de la SADC :
• Libèrent nos économies du joug de la dette, du néo-colonialisme et de l’emprise des sociétés privées ;
• Protègent nos populations contre l’austérité, l’extractivisme, la violence et l’effondrement écologique ;
• Rendent justice par le biais de réparations, de politiques économiques féministes et d’une gouvernance démocratique ;
• Se joignent à nous pour construire une Afrique australe juste, souveraine et unie, fondée sur le pouvoir des peuples, la solidarité régionale et la durabilité écologique.
Depuis Antsirabe, nous nous engageons à nouveau à construire des mouvements et des campagnes transfrontaliers qui défendent les citoyens ordinaires, protègent l’espace démocratique et libèrent le pouvoir des peuples. Nous quittons ce Sommet avec une détermination renouvelée à nous organiser, à nous mobiliser et à agir au niveau local, régional et mondial jusqu’à ce qu’un avenir juste, décolonisé et féministe devienne non seulement possible, mais inévitable.
Réclamer notre avenir n’est pas un slogan. C’est une exigence, un engagement et une lutte collective. Nous ne resterons pas silencieux. Nous ne serons pas invisibles et nous ne serons pas mis à l’écart.
15-17 août 2025 à Antsirabe, Madagascar