La déclaration d’organisations de la société civile contre le projet d’exploitation aurifère à Soamahamanina remet en cause la délivrance du permis environnemental par l’Office National pour l’Environnement (ONE) à la société JIUXING Mines SARL (1). Outre les diverses réactions relevées dans les médias, le Directeur Général de l’ONE a tenu à répondre au Collectif TANY (2). Mais de nombreuses zones d’ombre persistent en particulier sur les questions relatives à l’eau.
Le procédé d’extraction de l’or risque d’utiliser des produits chimiques très dangereux
L’extraction minière de l’or a des effets ravageurs sur l’environnement et la santé humaine lorsqu’elle recourt à des produits chimiques dangereux, notamment le mercure dans les mines artisanales ou le cyanure dans les mines industrielles (3). Le cahier des charges environnementales (CCE) (4) diffusé par l’ONE souligne qu’« aucune substance chimique ne sera utilisée pour la séparation finale de l’or » (art. 85). Mais l’ONE se doit de détailler au grand public les substances et le procédé d’extraction de l’or qui seront utilisés dans les différentes étapes du processus d’extraction.
Le rejet d’eaux usées sales constitue un autre risque majeur pour la rivière Ikalariana. Une source proche du dossier ayant déclaré que « la compagnie minière a une obligation de mettre en place un bassin de décantation servant à traiter les eaux usées avant leur écoulement dans le fleuve » (5), nous insistons pour avoir la description de tout le processus d’exploitation, qui devra préciser notamment les matières susceptibles d’être contenues dans les eaux usées, ainsi que les détails sur la décantation, avant leur rejet dans la rivière Ikalariana. Quels effets sur les eaux souterraines, les nappes phréatiques, les rivières et lacs voisins, le sol ainsi que le sous-sol ? Tout stockage ou enfouissement de produits toxiques menace de pollution grave et irréversible l’environnement à tous ces niveaux.
Le CCE reconnaît les menaces que fait peser « l’exploitation mécanisée du gisement aurifère » sur l’eau. Il mentionne que la rivière Ikalariana, au cœur du projet, affiche déjà « une teneur en matière en suspension très élevée due aux activités d’orpaillage effectuée par la population locale en amont » (4). Mais sur ce point crucial, le CCE a le devoir de préciser la nature, la concentration et la nocivité de ces matières déjà présentes avant même le début de l’exploitation. Sinon, comment l’ONE peut-il sérieusement mesurer les dégâts présents ou à venir et protéger les populations impactées.
Il est indispensable et urgent que l’ONE fasse preuve d’une transparence exemplaire face à de tels risques environnementaux à grande échelle. Car les eaux de la rivière Ikalariana rejoignent l’Onibe, puis l’Ikopa et le Betsiboka avant de se déverser dans le Canal de Mozambique. Des communes des régions Itasy, Bongolava, Betsiboka et Boeny seraient donc aussi victimes en cas de pollution au cyanure ou par d’autres métaux.
L’Ikalariana et les autres rivières constituent la seule source d’eau pour la consommation humaine et animale, pour les besoins quotidiens et l’arrosage des cultures. Toutes ces activités risquent de subir des conséquences importantes en cas de pollution mais également en cas de pénurie de cette ressource.
Les conséquences de l’exploitation sur la disponibilité de l’eau pour la population environnante
Selon l’article 62 du CCE, « la rivière Ikalariana constituera la ressource en eau du projet pour le traitement des minerais ». Une « autorisation provisoire de prélèvement d’eau de surface au niveau de la rivière Ikalariana » a été octroyée par l’Autorité Nationale De l’Eau et de l’Assainissement (ANDEA). Cependant, ni le cahier de charges ni le document en question tel que affiché sur un site (6) ne permettent de connaître la durée de cette autorisation censée être provisoire. En revanche, il est précisé que toutes modifications relatives à la ressource en eau du projet devront avoir l’aval de l’ANDEA et que tout pompage de la nappe phréatique devra faire l’objet d’une étude approfondie et obtenir l’autorisation de l’ANDEA (art. 63). En d’autres termes, ce « provisoire » risque de devenir définitif ?
Ce cahier de charges précise également que la société minière ne doit pas prélever plus de 270 m3 d’eau par jour, dont 260 m3 pour le traitement des minerais et 10 m3 pour les besoins domestiques de la base vie (art. 62). Or aucune information n’est communiquée sur le débit de la rivière à son étiage, ni sur les besoins domestiques et agricoles de la population locale en eau en aval.
Ces éléments concernent le permis environnemental accordé actuellement, portant sur les 7 carrés miniers du site minier d’Andravolobe, alors que le périmètre minier est constitué de 57 carrés miniers (art. 3). Quelle source d’eau sera donc utilisée sur les 50 autres carrés miniers plus tard ? Que restera-t-il pour l’usage de la population ?
La réponse précise à l’ensemble de ces questions sera nécessaire avant toute poursuite des réflexions et activités sur ces 7 carrés. Il ne faudra pas envisager de passer aux 50 autres carrés tant que la population ne saura pas à quoi on lui demande de s’engager, en l’informant de la totalité des tenants et aboutissants de ce projet.
Ces réflexions et informations sur les risques environnementaux liés à l’eau permettent de conclure que la population impactée par les effets du projet minier de la société JIUXING Mines SARL inclut les habitants des communes de Soamahamanina, Arivonimamo II et Morafeno, impliquées dans les permis miniers déjà délivrés à la société, mais également les habitants d’autres communes des régions Itasy, Bongolava, Betsiboka et Boeny qui se trouvent en aval de la rivière Ikalariana.
L’opacité totale qui recouvre l’étude d’impact environnemental menée par la société minière JIUXING Mines SARL et « jugée favorable par le comité technique ad hoc » (art.6) qui conclut par « l’existence d’impacts négatifs qui sont gérables » (art.5) (4) doit absolument être levée complètement car tous les citoyens ont le droit d’être informés. En quoi consistent ces impacts négatifs déjà identifiés, qualifiés de « gérables »?
Tirer des leçons des expériences des autres pays
Jusqu’à présent, l’exploitation de l’or connue à Madagascar a surtout été faite de manière artisanale. Pour avoir des exemples concrets des impacts négatifs possibles de l’exploitation « mécanisée », nous ne pouvons donc que nous référer aux expériences d’autres pays utilisant des méthodes industrielles.
En Papouasie Nouvelle Guinée (7), des exploitations d’or « utilisent des méthodes modernes industrielles et des substances toxiques comme le cyanide et le mercure. Ces méthodes contaminent les sources d’eau et contribuent à la destruction des écosystèmes. Elles détruisent les paysages et produisent des quantités énormes de déchets toxiques. Pour limiter les dégâts environnementaux, certaines sociétés construisent des bassins où ils déposent les déchets toxiques. Mais ces bassins n’empêchent pas forcément la contamination de l’environnement des zones voisines par infiltration dans le sol et dans les eaux souterraines. Parmi les 3 500 bassins de rétention des déchets miniers existants dans le monde, chaque année un à deux épanchements importants surviennent » causant des désastres écologiques irréversibles dans plusieurs pays. La Chine figure parmi les pays cités déjà victimes de ces désastres écologiques. (7)
Par ailleurs, en République dominicaine (8) « des résidents des zones directement affectées par l’exploitation de l’une des plus grandes mines d’or du monde ont rapporté que leurs plants de café n’ont plus rien donné depuis que les opérations minières ont commencé. Des parents ont évoqué des pluies à l’odeur tellement nauséabonde qu’ils retiraient leurs enfants de l’école et restaient confinés à l’intérieur des maisons avec eux, fenêtres closes, jusqu’à 24 heures d’affilée ». L’eau de la rivière était tellement acide qu’elle brûlait la peau de certains habitants. Les habitants avaient leurs étagères remplies de bidons d’eau d’environ 20 litres et ont expliqué que « l’entreprise » n’a plus eu d’autre choix que de fournir aux habitants 4 bidons d’eau plusieurs fois par semaine. (…) « Cette eau traitée était la seule eau salubre que la population puisse utiliser en toutes circonstances, que ce soit pour la consommation, l’hygiène corporelle, les usages ménagers ou pour abreuver les animaux » (8).
Nous demandons à l’ONE de rendre publique de manière urgente l’étude d’impact environnemental réalisée par la société JUIXING Mines qu’elle a jugé favorable. C’est un devoir de transparence primordial sur des questions environnementales et socio-économiques aussi lourdes de conséquences.
Si cette étude comporte des problèmes, notamment si les risques posés par le projet sont importants, le permis environnemental doit être annulé.
Conclusion
Monsieur Le Directeur Général de l’ONE a écrit dans la lettre au Collectif TANY que « Ce n’est pas dans les attributions de l’ONE de faire arrêter le projet quand les conditions techniques sont remplies et que les autorités locales et la population affectée acceptent le projet » (9). Cette conception, que partagent probablement d’autres responsables et décideurs à Madagascar, nous surprend car elle dévalorise et néglige gravement l’importance des aspects environnementaux. De plus, cet accord sur le projet que veut respecter l’ONE, est recueilli dans des conditions telles que toutes les informations cruciales sur le projet, telles que les impacts environnementaux, ne sont pas portées à la connaissance des autorités locales et de la population.
Les organisations de la société civile ayant déjà mentionné d’autres volets contestables du mode de consultation de la population et du peu de considération accordé à l’avis de la majorité qui refuse le projet à Soamahamanina (10 et 1) nous insistons sur l’importance et l’urgence des réponses de l’ONE aux différentes questions relatives à l’eau.
Permettez-nous également, de terminer par une citation : « Les enjeux concernant les risques environnementaux recouvrent aussi bien les populations, les milieux naturels, les biens et les équipements exposés aux aléas. Ils ne se réduisent pas forcément au territoire directement affecté : des territoires lointains peuvent être indirectement touchés du fait de leur interdépendance, notamment économique ou énergétique, avec le territoire affecté » (11).
Références :
(1) http://terresmalgaches.info/spip.php?article125 et http://terresmalgaches.info/IMG/pdf/Newsletter_55_Soamahamanina.pdf (2) https://drive.google.com/file/d/0Bzd_HeLNs87pNTJsT1owMDlMQ28/view (3) http://minesqc.com/fr/question/comment-quon-fait-pour-extraire-lor-dune-roche/#sthash.ze60RRlf.dpuf, http://www.achat-or-et-argent.fr/contenu-108-106-307-les-techniques-d-extraction-de-l-or http://olivier.pingot.free.fr/sortie_VI_texte.html (4) Cahier de charges environnemental assigné à la société JIUXING Mines : http://www.pnae.mg/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=61&Itemid=68 https://drive.google.com/file/d/0Bzd_HeLNs87pTzBXYjluTjRMbzA/view (5) http://midi-madagasikara.mg/economie/2016/07/13/probleme-de-soamahamanina-contrat-conclu-entre-lexploitant-proprietaires-fonciers/ (6) http://www.madagate.org/madagascar-informations-politiques/a-la-une/5812-madagascar-tragedie-sociale-a-soamahamanina-alerte-pour-le-vatican.html (7) Papouasie Nouvelle-Guinée : http://www.brilliantearth.com/gold-mining-environment/ (8) République Dominicaine : http://www.ritimo.org/L-eau-a-plus-de-valeur-que-l-or (9) « Tsy anjaran’ny ONE velively no manajanona tetik’asa iray rehefa feno ny fepetra ara-teknika ary rehefa nifanaraka ny tompon’andraikitra eny an-toerana sy ny vahoaka « (Traduction par ONE : Ce n’est pas dans les attributions de l’ONE de faire arrêter le projet quand les conditions techniques sont remplies et que les autorités locales et la population locale affectée acceptent le projet » dans Lettre du DG de l’ONE au Collectif TANY (ref 2) https://drive.google.com/file/d/0Bzd_HeLNs87pTzBXYjluTjRMbzA/view (10) http://www.matin.mg/?p=34914 (11) http://www.eaufrance.fr/comprendre/les-risques-lies-a-l-eau/