QUELQUES QUESTIONS BRULANTES SUR L’ETUDE DE PREFAISABILITE DU PROJET BASE TOLIARA

Pendant cette période où les citoyens malgaches sont censés attendre la décision du Président de la République sur la poursuite ou l’arrêt du projet d’exploitation d’ilménite Base Toliara, après la visite du Ministre des Mines et des Ressources Stratégiques et de sa délégation sur le terrain, l’annonce des résultats de l’étude de préfaisabilité de la société minière australienne Base Resources concernant ce projet a provoqué diverses réactions.

Certains se contentent d’avaler sans mâcher les déclarations de la société Base Resources, et de souligner qu’ils soutiennent la poursuite du projet minier à tout prix. D’autres se posent des questions sur les déclarations publiques des responsables de la société, et sur les données parfois différentes contenues dans le document « Toliara Project Prefeasibility StudySummary outcomes » du 21 mars 2019. La considération des droits consacrés par la loi des citoyens malgaches sur leurs terres, les prévisions de création d’emplois, les retombées financières annoncées et la radioactivité feront l’objet de questions et commentaires ultérieurs de la part des signataires de ce Communiqué.

Grandes inquiétudes concernant les droits fonciers de la population.

Le document Toliara Project Prefeasibility Study – Summary outcomes du 21 mars 2019 de Base Resources Limited – (1) qui sera désigné par « PFS » dans la suite de ce communiqué est  disponible sur Internet, et commence par une alerte au sujet des imprécisions ou changements possibles dans le contenu de ce document pour différentes raisons. Néanmoins, des différences critiques entre le contenu du document et les informations transmises au public par les responsables de la société seront soulevées par les auteurs de ce communiqué.

La lecture des pages relatives à l’acquisition des terres dans la zone Ranobe montre que la société Base Resources compte louer à l’Etat les terres dont elle aura besoin. Dans ce but, l’Etat doit s’approprier les parcelles concernées qui appartiennent aux habitants et les titrer à son nom. Selon le PFS, dans la superficie visée actuellement, 106 sur 1.041 parcelles sont munies d’un titre, le reste étant détenu selon les « intérêts » coutumiers (« customary interests »). Chacun traduira le mot « interests » selon l’importance qu’il accordera aux droits des communautés locales et des citoyens malagasy sur leurs terres, mais nous tenons à rappeler que selon la loi malagasy 2006-031 (2), les occupants des propriétés privées non titrées (PPNT) ont une présomption de propriété, et qu’il ne s’agit donc pas seulement d’« intérêts ». Madagascar est célèbre dans le monde entier pour l’inaccessibilité des titres fonciers à cause de leur coût élevé et des procédures nombreuses (plus de 20 étapes) et longues (3). Les communes affectées par le projet Base Toliara n’ayant pas de guichet foncier, les habitants n’ont donc pas l’opportunité de demander ou d’obtenir un certificat foncier comme alternative. Cette situation ne doit pas amener les responsables à ignorer les droits fonciers des occupants qui sont dûment reconnus par la loi. A cet égard, l’absence de cette loi 2006-031 dans les références aux lois et à la réglementation malagasy dans le PFS de la société Base Toliara inquiète au plus haut point les signataires de ce communiqué.

Par ailleurs, l’identification des propriétés et des droits sur les terrains est mentionnée comme étant terminée (« completed») dans le document PFS, alors que la publicité et la mise à la disposition du public du Plan Local d’Occupation Foncière (PLOF) décrivant le résultat de ce travail ne sont pas effectives. Nous exhortons le Comité d’Evaluation et de Compensation (CAE), chargé de ce travail selon le PFS, à informer en urgence tous les citoyens des zones affectées pour que les oublis et erreurs éventuels soient identifiés rapidement et rectifiés avec la participation de toutes les parties prenantes, notamment les occupants concernés et leurs associations, les services compétents de l’Etat, la compagnie minière et les organisations de la société civile impliquées.

Le document PFS mentionne par contre la déclaration d’utilité publique (DUP) qui va provoquer des expropriations sur les terrains destinés aux sites d’extraction, à la route et au port. Or, cette DUP a déjà fait l’objet d’une contestation de la part de plusieurs organisations de la société civile au mois de juillet 2018 (4), suivie d’un recours en annulation qui a été déposé auprès du Conseil d’Etat. Nous réitérons cette contestation, notamment en raison du fait que les zones concernées sont destinées uniquement à la réalisation du business en faveur des intérêts privés et en vue des profits de l’entité privée que constitue la compagnie minière, mais ne seront même pas accessibles au public.

Le nombre de futurs emplois proclamé auprès du grand public est plus élevé que celui qui est mentionné par le document PFS.

Dans leurs déclarations du 21 mars rapportées par la presse, les responsables de la société Base Toliara mentionnent le chiffre de 3.800 emplois (5). Or, il est de notoriété publique que le nombre d’emplois n’est jamais stable pendant le cycle de vie d’un projet minier : il tend à augmenter pendant la phase de construction et baisse beaucoup ensuite. Ce fait est confirmé par le PFS qui affirme au moins à deux endroits que

  • pendant la phase de construction, à part le personnel travaillant déjà pour Base Toliara, des emplois seront créés pendant 15 mois, dont le nombre maximum sera de 1.600. 700 à 800 d’entre eux ne seront pas recrutés parmi les habitants des environs de Toliara, et certains viendront d’autres pays (« expatriés ») ;
  • pendant la phase opérationnelle (d’exploitation proprement dite), le nombre de travailleurs incluant les contractuels sera de 1.031 dans un premier temps, puis de 1.140 quand la seconde unité d’extraction et le concentrateur seront installés. Il est prévu de recruter 610 ouvriers non-qualifiés et semi-qualifiés dans la région de Toliara, avec des expatriés dont le nombre passera de 71 à 27.

Le document PFS précise que d’autres emplois pourront être créés. Mais pourquoi les dirigeants de Base Toliara qui ont présenté le PFS n’ont-ils pas osé citer les chiffres réels et les détails mentionnés dans les résultats de cette étude de préfaisabilité ?

Lorsqu’un maire et une association ont tenu une conférence de presse pour exprimer leur souhait de voir le projet Base Toliara démarrer car 5 000 jeunes ont déjà déposé une demande d’emploi auprès du projet (6), les dirigeants de la société Base Resources ont-ils assumé la responsabilité qui leur incombe d’expliquer que tous les demandeurs d’emplois ne seront pas embauchés par le projet ? Le document PFS précise que 5 000 personnes sont maintenant en formation et qu’à la suite d’une sélection qui aura lieu bientôt, 200 à 500 candidats sur 1.000 seront retenus pour la formation spécifique aux phases de construction et d’exploitation.

Cette grave insuffisance de transparence de la part des responsables de Base Toliara vis-à-vis des communautés locales et de la population malagasy sur le nombre d’emplois, dont la création est proclamée comme étant le principal bénéfice de ce projet minier, contribue grandement à saper la crédibilité de cet argument.

La société minière fait miroiter des chiffres sur les retombées financières à espérer du projet

Face aux déclarations de dirigeants de Base Toliara publiées dans la presse sur les retombées financières à espérer de ce projet minier, des économistes demandent davantage de détails sur l’explication de la contribution de 226 millions de dollars par an au PIB malgache (5) et sur la manière dont ce montant a été calculé. En particulier, ce montant tient-il compte des recettes que l’Etat et la population ne gagneront pas grâce au tourisme, dans les zones affectées par l’extraction minière, alors que la région Atsimo Andrefana a été choisie parmi les zones prioritaires pour le développement du tourisme ? (7)

 

L’autre chiffre mentionné concerne les 900 millions de dollars d’impôts directs et de redevances que gagnera l’Etat Malagasy (5). Si le projet dure 40 ans, cela signifie 22,5 millions de dollars par an. C’est un montant dérisoire qui ne vaut pas le sacrifice de l’environnement, des moyens d’existence et des us et coutumes de la population.

Certains maires des communes impactées par Base Toliara ont commencé à rêver d’un enrichissement de leur commune grâce aux ristournes qu’apportera la société minière. Savent-ils que la société Ambatovy réputée pour être le plus grand projet d’industrie minière d’Afrique et de l’Océan Indien a commencé l’exploitation et l’exportation de minerais en 2012, et a payé à l’Etat les ristournes destinées aux communes seulement en juillet 2018 ? De plus, à notre connaissance, ces ristournes n’ont pas encore été réellement payées aux communes (8).

D’autres promoteurs du projet Base Toliara invoquent le développement rapide de Toliara et de sa région grâce à ses activités futures. Une visite à Taolagnaro, où la compagnie RioTinto- QMM exploite et exporte l’ilménite depuis dix ans, et des échanges avec les habitants leur apprendront que si un petit nombre de structures et de familles ont tiré des avantages de cette exploitation minière, les communautés riveraines témoignent de la destruction de leurs moyens de subsistance et de la dégradation des conditions de vie de la majorité de la population (9), à tel point que  la région Anosy fait maintenant partie des régions les plus pauvres de la Grande Ile.

La notion de radioactivité est habilement mais très gravement occultée

L’autre sujet inquiétant concerne les composants de l’ilménite mentionnés dans le PFS : le traitement de l’ilménite à Taolagnaro fait ressortir un (ou des) produit(s) radioactif(s) dont le Directeur Général de l’Office National pour l’Environnement a dit en 2018 que «le seuil maximal de taux de concentration de radioactivité n’est pas encore dépassé à Fort Dauphin » (10). Dans le cadre du projet minier Mainland Mining qui avait opéré le long de côte Est, des spécialistes du secteur minier avaient souligné que le zircon s’accompagne souvent de traces de thorium et d’uranium radioactifs (11). Tous les décideurs devraient mieux aiguiser leur esprit critique et se demander pourquoi la société parle d’ilménite, rutile, zircon et leucoxène sans évoquer de manière explicite la notion de radioactivité, mais utilisent le subterfuge suivant pour en parler : « les niveaux élevés d’U+Th (supérieurs aux normes industrielles de 500 ppm pour le zircon « premium » peut limiter l’accès à certains marchés géographiques (par exemple le Japon et les USA ne seront pas accessibles dans les conditions actuelles » (12)

La manière non explicite dont l’étude sur la préfaisabilité du projet Base Toliara a abordé ce sujet de la radioactivité dans son document et la persévérance de certains hauts responsables à manifester de l’enthousiasme vis-à-vis du projet après la publication de cette étude soulèvent des questions graves sur la compétence de certains responsables étatiques et confirment les doutes déjà émis sur l’intérêt qu’ils accordent aux conséquences négatives de ce projet minier sur l’ensemble de la population riveraine.

Conclusion

Alors que tous les citoyens attendent la décision de Monsieur Le Président de la République sur l’arrêt ou la poursuite du projet minier Base Toliara, les organisations de la société civile CRAAD-OI et Collectif TANY rappellent que ce projet a reçu son permis d’exploitation pendant la Transition de manière très discutable, et notent que le Ministre des Mines et des Ressources Stratégiques actuel, avant sa visite sur le terrain, a précisé que ce projet est « une priorité pour le pouvoir en place » (13). Les données mises en évidence dans ce communiqué les amènent donc à

  • réitérer leur demande d’arrêt définitif de ce projet minier en solidarité avec les communautés locales qui s’y opposent depuis plusieurs années (14), et au nom de la protection des moyens de subsistance, de la culture et de l’environnement des communautés vivant dans les zones affectées par le projet dans la région Atsimo Andrefana ;
  • soutenir les projets économiques favorisant l’amélioration des revenus et du bien-être des communautés locales grâce au développement de leurs propres activités, dans le respect de leurs droits sur leurs terres et de leur culture, tout en assurant la sauvegarde de leur environnement.

Les signataires de ce communiqué se posent en outre la question importante de savoir si Le Président de la République et le gouvernement publieront leur décision au sujet du projet Base Toliara avant ou après les élections législatives ?

 

28 mars 2019

CRAAD-OI : Centre de Recherches et d’Appui pour les Alternatives de Développement – Océan Indien
craad.madagascar@gmail.com ; 
http://craadoi-mada.com

Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
patrimoine.malgache@yahoo.fr ;
 http://terresmalgaches.infowww.facebook.com/TANYterresmalgaches

 

Références :