Madagascar fait actuellement partie des pays cibles pour les terres rares, qui contrairement à leur nom, existent un peu partout dans le monde. Pourtant très peu de pays exploitent leurs gisements de ces 17 minerais stratégiques, indispensables pour certaines industries de haute technologie, d’énergies renouvelables ou d’armement (1). La raison est simple : les procédés d’extraction de terres rares ont des effets désastreux pour l’environnement et la santé. C’est aussi une des raisons pour lesquelles la Chine, qui assurait encore récemment près de 95 % de la production mondiale, a décidé de réduire la production de terres rares sur son territoire.(2)
Des organisations de la société civile plaident pour qu’il n’y ait pas d’exploitation de terres rares à Madagascar, et alertent les responsables et les citoyens malgaches sur la base des résultats de recherches et de publications réalisées par des scientifiques, des ONG et des sociétés minières dans différents pays du monde.
Les éléments d’information disponibles sur le projet d’exploitation des terres rares à Ampasindava
À Madagascar, le projet d’exploitation de terres rares est situé sur la péninsule d’Ampasindava, dans les régions Diana et Sofia, au nord-ouest du pays.
La société Tantalum Rare Earth Malagasy (TREM) dispose d’une concession de 300 km2 attribuée par l’Etat malgache. Suite à la délivrance d’un permis de recherche en 2003, TREM s’est vu gratifié d’un permis environnemental pour la recherche dès les débuts du régime de la Transition, le 11 novembre 2009.
Un permis d’exploitation obtenu en 2012 a fait l’objet de contestation auprès du Conseil des Nations Unies aux Droits de l’Homme, car il a été délivré par le régime de la Transition, qui n’avait pas le droit de prendre des engagements à long terme pour le pays. Le permis d’exploration a été renouvelé en janvier 2015 pour 3 ans. Malgré le caractère contestable du permis d’exploitation, la société prévoit de procéder à un essai d’exploitation pilote (3) et de construire une usine dans la zone de Betaimboay, tout près du bord de mer, parallèlement à la poursuite de la recherche dans d’autres zones d’Ampasindava.
En avril 2016, une assemblée générale extraordinaire de la société Tantalus aurait approuvé la vente à une société basée à Singapour – Apphia Minerals SOF PTE Ltd – d’une partie de ses actions dans la filiale Tantalum Holding (Mauritius) Ltd qui possède à 100% la société minière Tantalum Rare Earth Malagasy (4).
La société Tantalus a annoncé en février 2015 que des milliers de forages exploratoires effectués sur 130 km2 (3) ont permis de découvrir que le gisement de la région d’Ampasindava recèlerait 130 millions de tonnes d’argile latéritique contenant des oxydes de terres rares à une concentration de 0,08%, notamment du Praseodymium, Neodymium, Terbium et Dysprosium. (3)Selon l’entreprise, les argiles ioniques de Madagascar dont 20% semblent être des terres rares lourdes, les plus recherchées et les plus difficiles à produire, sont similaires à ceux exploités dans le sud de la Chine. La technologie qui semble être la plus indiquée pour leur exploitation est la lixiviation sur site (3) et (5).
Qu’est-ce que la lixiviation sur site ? Un procédé vorace en ressources naturelles…
Aussi appelé « lixiviation in situ », « filtration in-situ », ou « extraction de solution », le procédé de lixiviation sur site – ou in situ – consiste à forer des trous dans la couche de minerai et à injecter dans le sous-sol, à l’aide d’une série de puits injecteurs, une solution utilisant généralement du chlorure de sodium ou du sulfate d’ammonium qui va dissoudre le minerai dans son milieu. La solution obtenue sera ensuite pompée à la surface, quelques dizaines de mètres plus loin, afin de procéder à l’extraction des éléments de terres rares par solvants. (1) et (6)
C’est une technologie qui a été imposée par le gouvernement chinois depuis juin 2011 pour rompre avec deux décennies de filtration en surface des argiles au sulfate d’ammonium, ayant entraîné la destruction du couvert végétal, une dégradation sévère et de long terme de l’environnement et des atteintes graves à la santé des travailleurs (7) et (8).
Indépendamment de l’utilisation de tout produit chimique, dans un premier temps, évaluons l’impact de ce procédé sur les terres dont les populations dépendent pour vivre.
L’information selon laquelle la concentration moyenne de terres rares est seulement de 0,08% dans les dépôts d’argile ionique de la péninsule d’Ampasindava signifie que pour obtenir 1 tonne de terres rares, il faut environ 100 000 t de terre argileuse. Or la société Tantalus annonce une « production de 10 000 t par an » (3) pendant 40 à 50 ans. Un calcul rapide nous amène à une quantité astronomique de terre argileuse qui devra être remuée et traitée : 1 milliard de tonnes.
Par conséquent, tout le couvert végétal actuel – comprenant la flore naturelle endémique à la région incluant des forêts, les rizières, les plantations de cultures de rente et d’autres produits agricoles, ainsi que les espaces nécessaires aux moyens de subsistance des communautés riveraines – sera gravement affecté et risque en fait de disparaître totalement. Il en est de même de la faune, des habitations et des infrastructures existantes.
Les impacts résultant de l’implication de l’eau dans ce procédé d’extraction s’avèrent aussi graves. En effet, en raison de la nature du procédé de lixiviation sur site qui a été décrit précédemment, l’utilisation d’un volume d’eau gigantesque sera donc indispensable.
Par ailleurs, selon un article de la revue scientifique Environmental Research, qui cite Madagascar parmi les pays qui disposent de ce type de minerais, l’extraction de terres rares des argiles ioniques est réalisée à l’aide d’ « opérations minières en surface ou sur des sommets montagneux, suivies par une lixiviation en tas ou dans des réservoirs avec la solution d’électrolytes et l’utilisation d’échangeurs d’ions » (9).
Ces détails sur les exigences techniques du procédé de production soulèvent des questions sur les impacts d’une éventuelle exploitation des terres rares sur l’aire protégée du massif forestier d’Ambongomirahavavy. En effet, étant donné que les 4 rivières principales qui alimentent la péninsule d’Ampasindava partent de ce massif, il semble difficile de croire que l’aire protégée et ces rivières ne seront pas affectées.
Ainsi, il apparaît que la disponibilité et la qualité de l’eau constituent un problème vital pour les communautés riveraines.
Un processus vorace en produits chimiques et très polluant
Comme il a été mentionné précédemment, la similitude des argiles ioniques de Madagascar avec ceux de Chine amène à la conclusion que la valorisation des argiles nécessite des traitements chimiques (5). Après le pompage à la surface de la solution saturée en minerais tirée de la lixiviation sur site, il faut séparer les éléments cibles du reste du minerai, puis isoler chacun d’entre eux puis augmenter au maximum la concentration du produit en terres rares (1)
Ces différentes étapes du processus industriel impliquent successivement la production de « grandes quantités de résidus toxiques, sous forme de rejets gazeux, de poussières, d’eaux usées, et de déchets solides, contenant notamment des fluorures, des sulfures, des acides, et des métaux lourds » (6), qui ont tous des effets polluants néfastes.
Des chercheurs estiment que 6 à 7 tonnes de sulfate d’ammonium et 1,2 à 1,5 tonnes d’acide oxalique sont nécessaires pour produire une tonne d’oxydes de terres rares.(6)
D’après l’article d’Environmental Research, « la production d’une tonne de terres rares génère 1000 tonnes d’eau contaminée par du sulfate d’ammonium et des métaux lourds, et 2000 tonnes de déchets toxiques » (9). Or, à Madagascar, la société TREM prévoit d’exporter 10 000 tonnes de terres rares par an d’ici trois ans pendant une durée estimée à 40-50 ans. Une telle exploitation produirait donc 10 millions de tonnes d’eau contaminée et 20 millions de tonnes de déchets toxiques chaque année, soit respectivement 500 millions de tonnes et 1 milliard de tonnes au bout d’un demi siècle…
Au regard de l’exemple chinois, la question du stockage des boues doit également être posée. Dans le cas où les sites de stockage ne seraient pas étanches, les suintements permanents des eaux acides entraîneraient la modification du taux d’acidité (pH) et l’envasement des rivières voisines. De fortes précipitations pourraient également entraîner le débordement des sites de stockage. Aussi, pour éviter que ceux-ci ne s’effondrent et se déversent au sol, les sites doivent être suffisamment solides pour résister à des pluies torrentielles, ou de violentes intempéries (6). Or, le Nord de Madagascar est régulièrement sujet aux pluies diluviennes et connaît des « niveaux de précipitations dépassant 2000 millimètres par an » (5).
Par ailleurs, on ne peut pas négliger le risque radioactif lors de l’extraction et de la concentration des terres rares, même si la société TREM a affirmé l’existence de faibles niveaux de radioactivité ainsi qu’une présence infime de thorium et d’uranium dans les minerais qu’elle explore.
Conclusion
Jugée moins invasive que les autres procédés de production de terres rares, la technologie de la lixiviation sur site provoquera néanmoins des dégâts très graves et irréversibles quand on considère la situation concrète du gisement de la péninsule d’Ampasindava.
D’une manière générale, la technologie demeure mal maîtrisée selon les scientifiques. Car pour éviter toute contamination des eaux souterraines et des sols, le milieu dans lequel doit circuler la solution lixiviante doit être confiné et sans fissures dans des conditions hydrogéologiques parfaites. Or, dans une note produite par le Groupement de Service Ecoinfo, soutenu par le CNRS, on évoque une technologie qui n’est « pas contrôlable hydrogéologiquement »(6).
Dans son Rapport sur les procédés, le recyclage, et l’impact environnemental de la production de terres rares, l’Agence de Protection de l’Environnement des Etats-Unis (EPA) indiquait que le risque environnemental lié à l’utilisation de réactifs chimiques puissants était probablement trop élevé pour faire de la filtration in-situ une méthode viable dans le cas des terres rares.(10)
Comme les sociétés minières et certains lobbys ont tendance à essayer de convaincre les citoyens et les décideurs que les destructions de la biodiversité et des écosystèmes terrestre et marin existants sont insignifiantes, en parlant de restauration, de compensation, etc…, nous tenons à partager le témoignage suivant : Lors d’un colloque en novembre 2014, un chercheur s’exprimait sans détour sur la lixiviation in-situ, utilisée dans le cadre de l’extraction de l’uranium au Kazakhstan et en Australie : « quand on arrête l’exploitation au bout de trois ans, il reste de l’acide partout. » (8)
Par conséquent, l’application du principe de précaution est d’une importance vitale, et aucun permis d’exploitation pilote ni permis environnemental ne doit être délivré pour ce projet de production de terres rares.
25 août 2016
Centre de Recherches et d’Appui aux Alternatives de Développement – Océan Indien (CRAAD-OI)craad.madagascar@gmail.com www.craadoi-mada.com
Références
(8) V. Lagneau, chercheur au Centre de Géosciences à Mines ParisTech, Colloque Ressources naturelles et environnement, 5-6 novembre 2014 à l’Institut Mines-Télécom
(10) “Strong chemical reagents would likely have to be used to recover the REEs from the rock or waste materials so the environmental risk is likely too high for this to be a viable method” in Mining Watch Canada, Rare Earth Elements : a Review of Production, Processing, Recycling and Associated Environmental Issues, December 2012.
(11) Précédentes publications du Collectif TANY :
– Quel avenir pour les communautés locales affectées par l’exploration de terres rares de la société Tantalus?Newsletter 48