Le programme du Président de la République Andry Rajoelina comporte la construction de plusieurs « villes nouvelles », dont le projet Tanamasoandro (signifiant « rayons de soleil » ou « Antananarivo-soleil »). Ce projet, le premier d’une longue série, est destiné à désengorger la capitale Antananarivo. Des habitants, notamment des cultivateurs et paysans dont les rizières vont être remblayées, vont être expropriés et protestent pour défendre leurs droits de continuer à exploiter ces terres agricoles.
En réponse à leurs manifestations, les décideurs annoncent le démarrage imminent et la réalisation inéluctable du projet. En tant que lanceurs d’alerte et défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels de la population, le CRAAD-OI et le Collectif TANY tiennent à exprimer leurs points de vue sur les informations partagées dans le domaine public et sur les conséquences déjà notables sur les habitants des espaces concernés par le projet.
Les éléments clairs-obscurs du projet Tanamasoandro.
Tout comme son emplacement, ni le plan ni le contenu de la nouvelle ville n’a fait l’objet de consultation du public (notamment la communauté affectée par le projet), et pourtant il est censé démarrer fin 2019. Il a fait l’objet d’une série de présentations à la diaspora Malagasy du Kenya en mars 2019, puis aux enseignants et étudiants de l’Université d’Antananarivo en juillet 2019, ainsi qu’à d’autres groupes de personnes qui n’ont pas manqué d’émettre et de partager leurs inquiétudes dans les media. Le titre d’un article relatant cette rencontre avec les Universitaires « Tanà-Masoandro : plus de questions que de réponses » (1) reflète une insuffisance des informations présentées au grand public au cours de la séance.
L’un des soucis concerne le coût énorme de ce projet pharaonique qualifié de « présidentiel » – un investissement de 2.575 milliards d’Ariary (environ 600 millions d’euros) représentant près de la moitié de tout le budget général de fonctionnement et d’investissement 2019 de l’Etat Malagasy (2) – qui soulève des questions sur les sources et le mode de financement. Les générations futures auront-elles à rembourser, et sous quelle forme, les dettes qui seront probablement à contracter ? En effet, dans un article du 31 juillet 2019, un responsable déclarait que « 21 investisseurs sont déjà engagés » (3). Un article du 13 août 2019 révèle que « le projet Tanamasoandro recherche également des bailleurs comme tous les autres inscrits dans TaTom » (4). La presse a mentionné la visite d’un groupe
d’opérateurs chinois sur les lieux (5) mais la conclusion d’un contrat quelconque n’a pas été divulguée. La transparence sur ce sujet revêt une importance majeure car l’opacité des informations risque de cacher des « transactions » en échange de terres malagasy, en plus des engagements pris au nom des générations futures si des dettes devront être remboursées.
Si la ville d’Antananarivo a sans conteste besoin d’extension, le caractère d’intérêt général de la ‘ville nouvelle’ Tanamasoandro a fait l’objet de nombreuses remarques de la part de différents citoyens :
- La recherche d’une modernité « futuriste » qui tranche gravement avec la pauvreté de la grande majorité de la population ;
- l’absence de référence ou de lien avec l’environnement culturel et l’histoire de la ville d’Antananarivo, de sorte qu’une grande partie de la population ne reconnaîtra pas une identité nationale au niveau architectural et environnemental ;
- mais surtout le caractère « inondable » de la zone choisie, après le remblayage des rizières. Un article de presse rapportant des déclarations des responsables mentionne que, comme la zone Ouest de l’Ikopa est inondable, « les résultats de la simulation du programme intégré d’assainissement d’Antananarivo qui est en cours, sont nécessaires afin de déterminer la superficie pouvant être enfouie » (4). Les études en question et leurs résultats n’ont pas été exposés aux citoyens, alors que les décideurs ne devraient pas les ignorer ou écarter du revers de la manche les expressions d’idées contradictoires. En particulier, les décideurs ont-ils pris en compte les avis des experts qui ont réalisé des études sur les problèmes de la maîtrise et de la gestion de l’eau à Antananarivo, et qui ont mentionné le cas particulier d’ Ambohitrimanjaka ? (6)
Nous partageons l’indignation des nombreux citoyens qui déplorent la disparition de rizières (7) au profit du projet Tanamasoandro, alors que l’augmentation des surfaces cultivables et des rizières figure parmi les objectifs nationaux des dirigeants. Le projet annonce que « près de 1.000 Ha d’espace pourront être libérés et 350.000 habitants accueillis dans ces nouvelles infrastructures » (8). Par rapport aux 200.000 nouveaux habitants qui arrivent à Antananarivo tous les ans, ce projet ne résoudra donc pas le problème de saturation de la ville d’Antananarivo à court et moyen termes. Si de surcroît, les risques d’inondation ne sont pas parfaitement maîtrisés, est-ce que cela mérite le sacrifice des rizières et des lieux de vie de la population ? Quelle couche de la population aura les moyens de s’y installer?
Conclusion
Il est important de noter que le projet de ‘ville nouvelle’ à Antananarivo n’est pas tout à fait nouveau mais constitue la suite d’un projet lancé dès les années 1990 (9) puis remis à l’ordre du jour par le régime Rajaonarimampianina avant d’être choisi comme projet-phare par l’I.E.M.- Initiative pour l’Emergence de Madagascar.
Des habitants d’Ambohidrapeto, Ambohitrimanjaka, Ankadimanga, Fiombonana ont manifesté de manière encore plus tapageuse car leurs communes et leurs terrains sont impliqués dans les 100 hectares à remblayer pour la réalisation de la première phase du projet Tanamasoandro. (10)
D’avantage d’études techniques, de réflexions et d’échanges avec les citoyens sur tous les aspects de ce projet devraient être menés avant le démarrage de ces travaux pharaoniques ainsi que des expropriations et expulsions des habitants. C’est d’autant plus indispensable que pendant les débats de l’entre deux tours de l’élection présidentielle, le Président Rajoelina avait fait le serment « qu’il ne spolierait jamais les Malagasy de leurs terres ».
3 octobre 2019
CRAAD-OI – Centre de Recherches et d’Appui pour les Alternatives au Développement – Océan Indien
craad.madagascar@gmail.com; http://craadoi-mada.com
Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
patrimoine.malgache@yahoo.fr ; http://terresmalgaches.info ; www.facebook.com/TANYterresmalgaches
Référence
- (1) https://lexpress.mg/27/07/2019/tana-masoandro-plus-de-questions-que-de-reponses/
- (2) https://www.madagascar-tribune.com/Un-rajout-de-750-milliards-d-ariary-dans-le-budget-general-de-l-Etat.html
- (3) http://www.midi-madagasikara.mg/economie/2019/07/31/projet-tana-masoandro-un-investissement-de-2575-milliards-ariary/
- (4) https://lexpress.mg/13/08/2019/amenagement-des-villes-tana-masoandro-insere-dans-le-projet-tatom/
- (5) https://aoraha.mg/20/09/2019/tetikasa-tanamasoandro-manda-ny-hanotofana-ny-tanimbary-ny-mponinambohitrimanjaka/
- (6)https://www.pseau.org/outils/ouvrages/ps_eau_diagnostic_institutionnel_rapide_des_acteurs_de_la_gestion_integree_des_eaux_urbaines_a_antananarivo_2019.pdf
- (7) https://2424.mg/nouvelle-ville-projet-tana-masoandro-des-paysans-sinquietent
- (8) http://www.lagazette-dgi.com/?p=34082
- (9) https://lexpress.mg/30/09/2019/projet-tanamasoandro-les-proprietaires-des-terrains-a-remblayer-manifestent/
- (10) https://lexpress.mg/29/12/2018/ville-nouvelle/