La loi sur les Zones Economiques Spéciales (ZES) à Madagascar : un abandon volontaire de la souveraineté nationale. Le Président-candidat osera-t-il la promulguer ?

La loi sur les Zones Economiques Spéciales, qui a connu divers épisodes de refus par différentes entités, refus sincères ou opportunistes, a été déclarée par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) conforme à la Constitution, après la modification de quelques points contestés par cette institution auparavant. La promulgation, c’est-à-dire, la bénédiction par le Président de la République, constitue la dernière étape, avant l’adoption définitive de la loi.         Les organisations de la société civile – CRAAD-OI et Collectif TANY – voudraient mettre en évidence qu’il serait plus raisonnable et dans l’intérêt de tous, y compris du Président-candidat et de ses proches, que cette loi ne soit pas promulguée du tout, ni avant les élections ni après.


1/ Les accaparements de terre et la perte de la souveraineté nationale restent présents dans la loi.

 

La version finale de la loi n°2017-023 contenant les modifications est désormais visible par le grand public sur le site de l’Assemblée Nationale. (1)

Sans entrer dans le détail de tous les articles, quelques exemples montreront que les changements apportés

  • ne modifient en rien la dangerosité de la loi pour la perte des moyens de subsistance des communautés locales dont la possession et l’usage des terres devront être abandonnées au profit des ZES, – l’article 6 fixe désormais la superficie minimale d’une ZES à 100 hectares mais la loi ne parle toujours pas de limite maximale de la superficie des ZES -,
  • et continuent à mettre en danger la souveraineté nationale puisque l’article 17 mentionne toujours que « Les autorités compétentes peuvent toutefois déléguer à l’AZES certaines de leurs attributions » et permet le transfert de prérogatives régaliennes de l’Etat à des entités privées voire étrangères. Cette délégation se fera « par un acte réglementaire pris par l’Administration concernée » au lieu d’être « [précisée] par des Protocoles d’Accord », cette dernière formulation ayant attiré les critiques de la HCC.

L’exposé des motifs ajouté au début de la loi comporte des arguments destinés à séduire et à convaincre les investisseurs et met en évidence tous les bénéfices qui leur seront offerts. Les seuls objectifs présentés qui pourraient être associés à des avantages pour les Malgaches sont, d’une part, « stimuler la croissance économique » ce qui ne garantit strictement aucune amélioration pour la majorité de la population (2), d’autre part « favoriser la création d’emplois », le nombre et la qualité des emplois accordés aux Malgaches pouvant faire l’objet de débats intéressants à partir des expériences déjà vécues, concernant leur niveau et leur stabilité. (3)

Les articles 24 et 29 soulignent qu’en plus de ceux mentionnés dans la loi, les investisseurs et entreprises ZES bénéficieront d’autres droits, qui seront « énoncés dans l’agrément octroyé à l’investisseur de la ZES ».

 

2/ De sérieuses questions se posent sur la séparation du territoire malgache en plusieurs « Etats ZES ».

Selon les articles 59 et 73, « l’espace de ZES » est désigné comme un « espace douanier situé en-dehors du territoire douanier national » et « toute marchandise d’origine malagasy expédiée à partir du territoire douanier national envers tout espace douanier est réputée être une exportation ». « La régulation, l’administration et la promotion des ZES à Madagascar sont confiées à une Autorité de régulation des ZES », la fameuse AZES qui « est dotée d’une personnalité juridique et jouit de l’autonomie administrative et financière »

La nouvelle version de la loi a ajouté dans l’article 10 cité ci-dessus que le Conseil d’Administration de cette ZES sera composé de 14 membres dont 6 membres issus du secteur privé et 8 représentant le Président de la République et différents ministères, respectivement. Mais ces représentants risquant fort d’être adeptes de cet abandon volontaire de la souveraineté, cette précision ne change rien à la volonté de réaliser un « apartheid », sous forme de développement séparé (4) sur le sol malgache.

Les Etats étrangers qui sont déjà sûrs de profiter de cette ouverture malsaine sont la Chine avec qui le Président de la République actuel « a signé une entente préalable sur l’attribution d’une Zone Economique Spéciale le 26 mars 2017 (5), ainsi que l’île Maurice avec laquelle Monsieur Hery Rajaonarimampianina a également signé un protocole d’entente le 14 mars 2016 visant à la création d’une zone économique spéciale à Madagascar notamment au niveau du Parc d’Ehoala (6). « Ce partenariat pourrait permettre de booster les investissements et l’expansion des groupes mauriciens dans la Grande île (7) » avait écrit un journaliste.

Une Conférence sur les Investissements Stratégiques dans le Nord de Madagascar s’est tenue en février 2018, suivie d’une visite du site d’Andrakaka à Antsiranana/Diégo-Suarez. Rappelons que selon les media « Une vingtaine d’investisseurs ont […] participé à cette conférence dont la présence d’opérateurs réunionnais, mauriciens, malaisiens ou encore ceux de Dubaï. Quelques sociétés chinoises dans la construction de port et d’aéroport étaient également sur place » (8).

Au cours des derniers mois, fortement encouragés par des organismes internationaux (9) dont les conseils nombreux et variés n’ont pas démontré leur efficacité dans le développement économique de la majorité du peuple de Madagascar jusqu’à présent, plusieurs pays africains ont mis en place des ZES sur proposition d’assistance/management de l’île Maurice ou de la Chine (10).

Jusqu’où s’agenouilleront les dirigeants et décideurs malgaches face aux investisseurs étrangers et combien d’hectares de terres de la mère-patrie braderont-ils à très bas prix (11) pour attirer leur faveur, face à la concurrence des autres pays dans la séduction et l’attraction des Investissements Directs Etrangers, quand les infrastructures présentes ne s’avèrent pas à la hauteur, l’éducation et la formation ont été négligées pendant ces 15 dernières années et le niveau d’insécurité des biens et des hommes n’inspire aucune confiance ?

Cette politique n’est qu’un mirage. N’oublions pas que le Parc Ehoala, dont une filiale de la Compagnie Rio Tinto avait assuré la gestion auparavant, n’a pas réussi à attirer d’investisseurs, malgré une baisse inacceptable du montant de la location des terrains, alors que les habitants qui y vivaient de manière décente de la pêche et de l’élevage ont été expulsés en 2009.

 

Conclusion

Dans l’étape actuelle des débats relatifs à la loi sur les Zones Economiques Spéciales, nous soulignons qu’il est encore temps d’arrêter la mise en place de cette adhésion volontaire au statut de pays colonisé, si le Président de la République actuel, celui qui assurera bientôt son intérim et celui qui sera élu au mois de Novembre ne promulguent pas la loi.

Nous réitérons que le choix de société ainsi promu par les ZES est contraire aux intérêts de la majorité des Malgaches et risque de faire disparaître à jamais la souveraineté de l’Etat de Madagascar.

D’autres « grands projets » peuvent et doivent être envisagés pour améliorer les conditions de vie, de travail et de revenus de la majorité de la population malgache sans offrir à d’autres, sur un plateau, les terres que les ancêtres ont léguées et mises en valeur, et dont devraient hériter les générations actuelles et futures.

29 août 2018

CRAAD-OI : Centre de Recherches et d’Appui pour les Alternatives de Développement  – Océan Indien craad.madagascar@gmail.com ; http://craadoi-mada.com

Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
patrimoine.malgache@yahoo.fr ; http://terresmalgaches.info

Références

(11) article 29 : 
      3) […] Pour les baux emphytéotiques, les droits sont dus par période décennale sur le montant cumulé de dix (10) années de loyers. Toutefois, ils peuvent être acquittés en un seul versement pour toute la durée du bail au gré des parties et suivant les clauses du contrat.

           4) Le développeur est soumis à la redevance domaniale. Il est appliqué le prix plancher au mètre carré suivant la   

       région d’implantation de la ZES.