LE TRAITE DE LA CHARTE DE L’ENERGIE (TCE): UN GRAVE DANGER POTENTIEL POUR LA TRANSITION ENERGETIQUE DE MADAGASCAR
Antananarivo, le 10 Aout 2022
QU’EST-CE QUE LE TCE ?
LE TCE est un accord international sur les investissements dans le secteur de l’énergie qui est entré en vigueur en 1994, sans véritable débat public.
Le TCE accorde aux investisseurs étrangers des pouvoirs étendus leur permettant de poursuivre en justice les États coupables à leurs yeux d’avoir ‘porté atteinte’ à leurs investissements dans le domaine de l’énergie. De ce fait, il est de plus en plus utilisé par les entreprises et leurs alliés pour contrer l’Accord de Paris sur le climat en affaiblissant les mesures de régulation relatives au changement climatique, et pour obtenir des compensations.
L’interprétation du terme « investissement » est si large que de simples actionnaires sont en droit d’engager des poursuites tandis que les sociétés peuvent prétendre non seulement au remboursement des sommes investies, mais aussi des pertes sur d’hypothétiques bénéfices.
La pierre angulaire du TCE est le mécanisme d’arbitrage et de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats, – plus connu sous l’acronyme anglais d’ISDS – qui peut être utilisé afin de contester toute action prévue ou mise en œuvre par un État souverain et susceptible de nuire à un investissement – lois et réglementations émanant de Parlements, mesures prises par un gouvernement et ses administrations, voire même décisions judiciaires aussi bien locales et régionales que nationales.
L’ISDS repose sur des tribunaux privés susceptibles d’accorder des réparations qui se chiffrent en milliards en cas de victoire des investisseurs. Les pays qui adhèrent au TCE risquent d’être la cible d’un flot d’attaques coûteuses de la part des investisseurs. Le TCE est déjà le traité d’arbitrage d’investissement le plus utilisé au monde et les investisseurs des pays signataires du TCE sont les plus grands utilisateurs du système.
60 % de toutes les affaires connues entre investisseurs et États dans le monde proviennent d’investisseurs dont l’État d’origine est membre du TCE – la grande majorité d’entre eux étant des pays de l’Union européenne. D’autre part, il n’existe pas une seule affaire d’investissement connue émanant d’un investisseur dont l’État d’origine est un pays à faible revenu.
Le TCE pourrait restreindre de manière significative la souveraineté des États à réglementer les investissements dans leurs ressources énergétiques afin qu’ils contribuent au développement national.
En vertu du TCE, les grandes entreprises du secteur de l’énergie peuvent poursuivre les gouvernements s’ils décident de taxer les bénéfices exceptionnels, d’obliger les entreprises à embaucher des travailleurs locaux, de transférer des technologies, de traiter les matières premières avant l’exportation ou même de protéger les ressources naturelles, entre autres.
QUI SONT LES MEMBRES DU TCE ?
Les membres du TCE sont essentiellement des pays d’Europe occidentale et orientale, ainsi que certains pays d’Asie centrale. Plusieurs acteurs importants du paysage énergétique international sont absents du TCE, notamment la Russie, les États-Unis, les pays du Golfe, le Canada, l’Indonésie, le Brésil et l’Inde.
Dans le contexte de la crise énergétique mondiale résultant de la guerre en Ukraine, les pays africains ont été promus au rang de station-service des pays européens, et en conséquence de cible prioritaire pour les incitations à leur adhésion au TCE.
Les organes consultatifs du TCE sont dominés par des multinationales de combustibles fossiles et des avocats spécialisés dans les investissements. De nombreuses entreprises qui conseillent le personnel du TCE ont déjà engagé des poursuites contre les États membres. Il n’y a pas de groupes consultatifs qui représentent les intérêts des pays du Sud.
QUELLES SONT LES IMPLICATIONS POUR MADAGASCAR ?
De nombreux pays – du Sud en particulier – se sont engagés sur la voie d’une adhésion au TCE parce que leurs gouvernements se laissent abuser par des promesses fallacieuses d’arrivée de nouveaux investisseurs et de solutions au problème de précarité énergétique.
Cette adhésion au TCE se fait malheureusement au mépris des graves menaces politiques, juridiques et financières que fait peser le TCE sur les nouveaux États signataires.
Dans le cas de Madagascar, la politique actuelle de libéralisation du secteur de l’énergie laisse déjà une porte grande ouverte à la domination accrue des investisseurs privés sur la production et la fourniture d’énergie, y compris les énergies renouvelables. Ex: par le biais de sa filiale ENELEC, le groupe FILATEX détient actuellement 40% des parts de marché des producteurs privés d’énergie solaire à Madagascar.
Par ailleurs, presque tous les pays qui ont signé un accord bilatéral d’investissement avec Madagascar ont aussi adhéré au TCE.
POURQUOI MADAGACAR DOIT IMPERATIVEMENT REJETER LE TCE
Raison 1 : Le TCE est l’accord d’investissement le plus dangereux au monde.
L’arbitrage entre investisseurs et États prévu par le TCE n’est pas un système équitable ou indépendant pour résoudre les différends entre États et investisseurs.
Le TCE a une portée géographique limitée et est dominé par les intérêts occidentaux en matière de combustibles fossiles et par des avocats qui ont intérêt à intenter des procès coûteux contre les États. Ce n’est pas un forum approprié pour aborder les questions d’investissement dans l’énergie durable pour les pays du Sud.
À l’échelle mondiale, aucun autre traité n’a déclenché autant d’attaques d’investisseurs contre des États que le TCE. Jusqu’à présent, 134 cas ont été recensés.
Dans les procès intentés en vertu du TCE, des tribunaux composés de trois avocats privés peuvent obliger les gouvernements à verser des milliards de dollars de l’argent des contribuables pour indemniser les entreprises, y compris pour des « bénéfices futurs » manqués totalement hypothétiques. Ex: la plainte de 6,1 milliards d’euros de Vattenfall à l’encontre d’une Allemagne qui souhaite sortir du nucléaire, figurent parmi les plus coûteuses de l’histoire de l’arbitrage entre investisseurs et États.
Raison 2 : Le TCE sape la démocratie et pourrait freiner l’action climatique.
Il s’agit d’un outil permettant d’intimider les décideurs et de faire payer les gouvernements lorsqu’ils tentent d’inverser la crise climatique mondiale et de protéger les intérêts publics.
Il s’agit d’une menace particulière pour une transition urgente vers l’abandon des combustibles fossiles, qui nécessite des réglementations audacieuses qui réduiront inévitablement les profits de certaines des plus grandes sociétés pétrolières, gazières et charbonnières.
Le TCE a déjà été utilisé pour attaquer les interdictions de projets de combustibles fossiles, les restrictions environnementales sur les centrales électriques et l’élimination progressive du charbon.
Les demandes en suspens au titre du TCE, pour lesquelles une telle information est disponible (seulement 36 cas sur 61), ont une valeur collective de 32 milliards de dollars US – bien au-delà de la dotation annuelle que l’on estime nécessaire pour aider le continent africain à s’adapter au changement climatique.
Raison 3 : Le TCE limite la souveraineté et l’espace politique pour réglementer dans l’intérêt public, y compris pour des prix énergétiques abordables.
Le TCE peut être utilisé pour empêcher tout type de réglementation sur les investissements énergétiques, y compris les taxes. Il peut également être utilisé pour verrouiller les privatisations énergétiques qui ont échoué et éroder les tentatives de régulation des prix de l’électricité afin de rendre l’énergie abordable pour tous.
Le TCE restreint en fait la capacité des gouvernements à lutter contre la pauvreté énergétique. Plusieurs pays d’Europe de l’Est ont déjà été poursuivis en vertu du TCE parce qu’ils ont pris des mesures pour limiter les bénéfices des entreprises énergétiques et faire baisser les prix de l’électricité pour les consommateurs. Ex: l’Albanie qui a fini par payer 100 millions d’euros pour régler une telle affaire.
Ceci est particulièrement dangereux pour les pays à faible revenu comme Madagascar, où même de petites augmentations des prix de l’énergie peuvent réduire l’accès à l’énergie et nuire aux consommateurs.
Raison 4 : Les privilèges accordés aux investisseurs par le TCE n’apportent pas les avantages économiques revendiqués.
Il n’existe actuellement aucune preuve que l’accord contribue à réduire la pauvreté énergétique et à faciliter les investissements directs étrangers, sans parler des investissements dans les énergies renouvelables.
En réalité, les recherches montrent que de nombreuses privatisations dans le secteur de l’énergie ont entraîné une hausse des prix pour les consommateurs, un service de moindre qualité, un sous-investissement dans les infrastructures et le licenciement de travailleurs.
Raison 5 : La modernisation du TCE ne corrigera pas ses défauts.
Les réformes en cours du TCE constituent une tentative de re-légitimer un traité obsolète, dangereux et de plus en plus controversé.
Même si les gouvernements acceptent de moderniser le TCE, les propositions actuellement sur la table n’aboutiront pas à un nouveau TCE conforme à l’Accord de Paris sur le climat.
Raison 6 : Le TCE enferme les pays pendant des décennies.
Lorsqu’un pays adhère au TCE, il est lié pour au moins 26 ans, même si les gouvernements suivants souhaitent en sortir.
Bien qu’un gouvernement puisse se retirer 5 ans après l’adhésion au TCE et que son retrait prenne effet un an plus tard, il peut encore être poursuivi pendant 20 ans pour des investissements réalisés avant le retrait du TCE.